Tarifs douaniers sur les films étrangers : un séisme pour Hollywood
L’annonce récente par Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers de 100% sur les films étrangers a provoqué une onde de choc au sein de l’industrie cinématographique américaine. Cette mesure, qui s’inscrit dans une politique commerciale plus large, pourrait transformer radicalement le paysage du cinéma aux États-Unis et au-delà. Analyse d’une décision controversée aux multiples répercussions.
Une annonce qui bouleverse l’industrie
La proposition de Donald Trump concernant ces nouveaux tarifs douaniers s’inscrit dans sa stratégie économique « America First ». L’ancien président et candidat républicain à l’élection présidentielle de 2024 a récemment détaillé son projet d’imposer des droits de douane de 100% sur tous les films étrangers importés aux États-Unis.
Cette annonce intervient dans un contexte où l’industrie cinématographique américaine traverse déjà une période difficile, marquée par les conséquences de la pandémie, les grèves historiques des scénaristes et des acteurs en 2023, et la concurrence croissante des plateformes de streaming.
Des réactions vives dans le milieu du cinéma
La Motion Picture Association (MPA), qui représente les grands studios hollywoodiens, a rapidement exprimé son inquiétude face à cette proposition. Charles Rivkin, PDG de la MPA, a déclaré : « Cette mesure pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur notre industrie qui dépend fortement des échanges internationaux. »
Des réalisateurs de renom comme Martin Scorsese et Guillermo del Toro, connus pour leur défense du cinéma international, ont également pris position contre cette mesure. Del Toro, oscarisé pour « La Forme de l’eau », a notamment souligné que « le cinéma est un langage universel qui transcende les frontières et enrichit notre culture collective. »
Un impact économique considérable
L’industrie cinématographique américaine génère environ 229 milliards de dollars par an et emploie plus de 2,2 millions de personnes selon les données de la MPA. Les films étrangers, bien que représentant une part minoritaire du marché américain (environ 7% des recettes du box-office), jouent un rôle crucial dans l’écosystème cinématographique.
Les distributeurs spécialisés comme A24, Neon ou Sony Pictures Classics, qui importent régulièrement des films étrangers, seraient particulièrement touchés. Tom Bernard, co-président de Sony Pictures Classics, a estimé que « ces tarifs rendraient économiquement impossible l’importation de nombreux films d’auteur étrangers. »
En chiffres, l’impact serait significatif :
- Un film étranger dont les droits de distribution américains sont achetés 1 million de dollars verrait ce coût doubler à 2 millions
- Les coûts de marketing et de distribution, déjà élevés, deviendraient prohibitifs pour de nombreux films à budget modeste
- Les festivals de cinéma américains, qui dépendent largement des productions internationales, verraient leur programmation menacée
Des conséquences sur la diversité culturelle
Au-delà de l’aspect économique, c’est toute la diversité culturelle du paysage cinématographique américain qui est en jeu. Les films étrangers apportent des perspectives, des récits et des approches artistiques qui enrichissent l’offre disponible pour le public américain.
Ces dernières années, des films comme « Parasite » (Corée du Sud), « Drive My Car » (Japon), ou « Les Misérables » (France) ont non seulement remporté des prix prestigieux mais ont aussi connu un succès commercial significatif aux États-Unis, prouvant l’intérêt du public pour des œuvres venues d’ailleurs.
Rebecca Keegan, journaliste spécialisée cinéma pour The Hollywood Reporter, souligne que « ces tarifs risquent de créer un isolationnisme culturel à l’heure où le cinéma mondial n’a jamais été aussi interconnecté. »
Des mesures de rétorsion à craindre
Les experts du commerce international alertent sur le risque de mesures de rétorsion de la part des pays touchés. L’Union européenne, la Chine, le Japon ou la Corée du Sud pourraient à leur tour imposer des tarifs sur les productions américaines, qui dominent largement le marché mondial.
Or, les exportations représentent une part cruciale des revenus d’Hollywood. En 2023, les films américains ont généré plus de 14,9 milliards de dollars à l’international, soit environ 70% des recettes mondiales du box-office.
« Si d’autres pays répondent par des mesures similaires, c’est toute l’économie du cinéma américain qui serait menacée », prévient John Fithian, ancien président de la National Association of Theatre Owners.
Un précédent historique inquiétant
Ce n’est pas la première fois que le cinéma est utilisé comme levier dans des conflits commerciaux. Dans les années 1920, l’Allemagne avait imposé des quotas sur les films américains, ce qui avait conduit à une guerre commerciale culturelle. Plus récemment, les tensions entre la Chine et les États-Unis ont entraîné des restrictions sur le nombre de films américains distribués sur le marché chinois.
L’historien du cinéma Thomas Schatz, de l’Université du Texas, rappelle que « ces guerres commerciales culturelles ont généralement eu des effets néfastes sur toutes les parties impliquées, réduisant les échanges et appauvrissant l’offre cinématographique. »
Des alternatives possibles
Face à cette menace, certains acteurs de l’industrie explorent déjà des alternatives. Les coproductions internationales, qui impliquent des financements et des équipes de plusieurs pays, pourraient devenir une solution pour contourner ces tarifs.
D’autres envisagent de développer davantage la distribution numérique, moins soumise aux barrières douanières traditionnelles. Les plateformes de streaming comme Netflix, Amazon Prime ou MUBI, qui proposent déjà un large catalogue de films internationaux, pourraient paradoxalement bénéficier de cette situation.
Conclusion : un enjeu qui dépasse le cinéma
L’imposition de tarifs douaniers sur les films étrangers soulève des questions qui vont bien au-delà de l’industrie cinématographique. Elle interroge la place de la culture dans les échanges commerciaux internationaux et le rôle des États dans la régulation de ces échanges.
Alors que le débat se poursuit, une chose est certaine : cette mesure, si elle était appliquée, marquerait un tournant majeur pour Hollywood et pour le cinéma mondial. Elle pourrait redessiner les contours d’une industrie déjà en pleine mutation, avec des conséquences durables sur la création, la distribution et l’accès aux œuvres cinématographiques.
Dans un monde où les frontières culturelles s’estompent grâce au numérique, l’érection de nouvelles barrières économiques apparaît comme un paradoxe que l’industrie du cinéma devra affronter dans les mois et années à venir.

