Mémoire du 8 mai 1945 : entre commémoration et enjeux contemporains
En ce 8 mai 2025, alors que la France célèbre le 80e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, une autre mémoire s’impose avec force dans les relations franco-algériennes. Cette date marque également l’anniversaire des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en Algérie, événements tragiques qui continuent de peser sur les relations entre les deux pays, particulièrement dans un contexte de crise diplomatique.
Une date, deux mémoires
Le 8 mai 1945 représente une date à double signification dans l’histoire franco-algérienne. Si en France, cette journée symbolise avant tout la capitulation de l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, en Algérie, elle évoque également une page sombre de l’histoire coloniale française.
Ce jour-là, alors que la France célébrait sa libération, environ 8 000 Algériens manifestaient pacifiquement à Sétif pour réclamer l’égalité des droits et l’application du principe d’autodétermination des peuples. La police avait autorisé cette manifestation à condition qu’aucun drapeau algérien ne soit déployé. Lorsqu’un jeune manifestant a bravé cette interdiction en arborant l’emblème national algérien, il a été abattu par un policier, déclenchant des soulèvements qui se sont rapidement propagés à d’autres localités comme Guelma et Kherrata.
La réponse de l’État français, alors présidé par Charles de Gaulle, fut une répression d’une violence extrême qui fit plusieurs milliers de morts parmi la population algérienne. Ces événements sont considérés par de nombreux historiens comme un tournant décisif dans la prise de conscience nationale algérienne et le cheminement vers la guerre d’indépendance qui éclatera neuf ans plus tard.
Tensions diplomatiques et initiatives mémorielles
La commémoration de 2025 s’inscrit dans un contexte particulièrement tendu entre Paris et Alger. Comme le souligne Le Point, cette journée de mémoire intervient ‘pleinement au sein de la séquence de crispation entre Alger et Paris’. Cette Tensions diplomatiques entre la France et l’Algérie, déclenchée en 2024, a conduit à des expulsions réciproques d’agents consulaires et au rappel d’ambassadeurs, compliquant considérablement les relations bilatérales.
Malgré ces tensions, des initiatives citoyennes et politiques témoignent d’une volonté de dialogue et de reconnaissance. À Strasbourg, un rassemblement est organisé ce 8 mai 2025 à 16h, place Kléber, à l’appel de huit organisations. Cette manifestation vise à commémorer les massacres de 1945 et à demander que la France reconnaisse officiellement son rôle dans ces événements tragiques.
Parallèlement, une proposition de résolution a été déposée à l’Assemblée nationale française le 5 mai 2025, ‘relative à la reconnaissance et la condamnation du massacre des Algériens du 8 mai 1945 à Sétif, Kherrata, Guelma et leurs environs’. Ce texte considère que ‘le 8 mai 1945, des Algériens manifestèrent pacifiquement à Sétif, Kherrata et Guelma pour l’égalité des droits’, rappelant ainsi la légitimité des revendications qui ont précédé la répression.
Les enjeux d’une reconnaissance historique
La question de la reconnaissance officielle par la France de sa responsabilité dans les massacres du 8 mai 1945 reste un point sensible dans les relations franco-algériennes. Comme l’exprime le journal L’Algérie Aujourd’hui dans son édition du 8 mai 2025, ‘Le 8 mai 1945 ne fut pas, pour tous, un jour de libération. Tandis que Paris célébrait la fin de la guerre, à Sétif, Guelma et Kherrata, la répression s’abattait sur des manifestants algériens’.
Cette absence de reconnaissance officielle est perçue par de nombreux Algériens comme ‘un déni qui déshonore la France’, selon les termes employés par ce même journal. Pour beaucoup, cette reconnaissance constituerait une étape essentielle vers une réconciliation mémorielle entre les deux pays.
En Algérie, la journée du 8 mai a été officiellement instaurée comme journée de commémoration nationale en 2020 par le président Abdelmadjid Tebboune, soulignant l’importance de ces événements dans la construction de l’identité nationale algérienne et dans la mémoire collective du pays.
Vers une mémoire partagée ?
La commémoration du 8 mai 2025 illustre les défis que pose la construction d’une mémoire partagée entre la France et l’Algérie. Elle met en lumière la nécessité d’un travail historique rigoureux, d’une reconnaissance mutuelle des souffrances passées et d’un dialogue apaisé sur les questions mémorielles.
Les initiatives citoyennes, comme le rassemblement de Strasbourg, témoignent d’une volonté de la société civile de contribuer à ce travail de mémoire. Comme le rappellent les organisateurs, ‘Chaque 8-Mai, la France fête la victoire sur l’Allemagne nazie’, mais cette célébration ne doit pas occulter les événements tragiques qui se sont déroulés le même jour en Algérie.
La proposition de résolution déposée à l’Assemblée nationale française marque également une évolution dans la prise en compte officielle de cette mémoire douloureuse. Elle s’inscrit dans une démarche plus large de reconnaissance des pages sombres de l’histoire coloniale française.
En ce 80e anniversaire, la commémoration du 8 mai 1945 invite donc à une réflexion profonde sur la manière dont les sociétés française et algérienne peuvent construire ensemble une mémoire qui, sans nier les blessures du passé, permette d’envisager un avenir commun apaisé. Elle rappelle que le travail de mémoire est un processus continu, nécessaire à la compréhension mutuelle et à la construction de relations internationales fondées sur le respect et la reconnaissance de l’histoire partagée.

